Le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle ne s’est pas contentée de juste nous donner quelques noms de films ! A lire absolument sa passionnante analyse, en fin de portrait, sur l’importance du témoignage d’Adèle Haenel.

Après des études de philosophie à l’université Marc Bloch de Strasbourg, Rachel Lang intègre l’Institut des arts de diffusion (IAD) à Louvain-la-Neuve (Belgique). Elle remporte en 2010 le Léopard d’argent du festival de Locarno avec son film de fin d’étude « Pour toi je ferai bataille ». Celui-ci est sélectionné dans plus de 50 festivals internationaux. Son deuxième court-métrage, « Les navets blancs empêchent de dormir », remporte le Swann d’or du festival de Cabourg en 2012. « Baden Baden », son premier long-métrage, est sélectionné à Angers et à Berlin en 2016. Elle termine actuellement son deuxième long « Mon légionnaire », avec une sortie prévue en 2020.

1 – Ton confinement : il a lieu où et tu l’envisages/le vis comment?

Je suis confinée à Bruxelles, et je commence doucement à trouver un rythme. Les dix premiers jours j’ai rangé, trié, jeté, rebouché des trous, repeint des murs, fait tous les trucs qu’on remets toujours à plus tard. Comme je suis réserviste dans l’armée de terre, je suis en alerte depuis la veille du confinement, je me suis dépêchée de faire tout ce que j’avais envie de faire avant de rejoindre ma garnison. Ca fait deux semaines et je ne suis toujours pas partie. Mon paquetage est prêt depuis le 15/03 et je sais maintenant que je ne serai pas déployée avant le 10/04, donc je me suis fait un programme d’écriture, de sport, et de cours d’anglais. Je finissais l’étalonnage de mon dernier film « Mon Légionnaire » au moment où le confinement a été décrété. Il reste encore des effets spéciaux, mais la boîte qui s’en occupe a fermé, donc j’attends la reprise.

2 – Cite un ou plusieurs films réalisés par des femmes qui t’ont marqué·e et que tu as envie de faire découvrir. Dire pourquoi en quelques mots

Tomboy de Céline Sciamma. C’est un film que j’aurais rêvé de faire.

Jeanne Dielman de Chantale Ackermann. C’est un des films qui m’a le plus marqué en terme de rupture, une expérience sensorielle et rythmique extrême.

Le Bonheur d’Agnès Varda. Pour la violence des sentiments éprouvés, la claque de la dernière partie.

Victoria de Justine Triet. Un film brillant, des acteurs virtuoses, des situations et dialogues jubilatoires.

Fish Tank de Andréa Arnold.

Beau Travail de Claire Denis.

Toni Erdman de Maren Ade.

3 – un adjectif pour qualifier ton féminisme

Post-féminisme

Je rêve d’un monde totalement gender fluid.

Je ne me sens pas plus femme qu’homme, et j’ai du mal à me définir par mon genre.

J’ai eu récemment un choc en découvrant le témoignage d’Adèle Haenel. Grâce à elle j’ai compris toute une problématique à laquelle je n’avais pas eu accès jusque là. Elle est brillante, son discours est articulé et fort. Je n’avais pas bien compris le mouvement #metoo – compris dans le sens profond. Je me suis toujours défini comme un individu et non comme représentante d’un genre. J’ai été très surprise à la sortie de mon film « baden baden » quand lors des interviews on partait du principe que c’était féministe et on me demandait de théoriser sur le personnage féminin principal qui était tellement différent de ce qu’on a l’habitude de voir. Je ne voyais pas de quoi on me parlait. Pour moi c’était un individu, oui du sexe féminin, mais c’est un détail, c’est pas ce ça dont il s’agit. Pour moi, cela réduisait le sens de voir sous cet angle, cela réduisait la puissance des femmes de ma génération. Pour moi les différences homme-femme et le féminisme c’était du passé, d’avant la génération de ma mère. On ne m’a jamais inculqué l’idée que le genre pouvait limiter. Et je ne me suis jamais positionnée comme femme, encore moins comme militante de la cause des femmes. J’ai raccroché les wagons en entendant le témoignage d’Adèle Haenel car elle introduit un concept qui n’est pas lié à l’identité de genre et que tout le monde peut comprendre dans ses tripes : celui de la honte. Quand ce qu’on subit nous met dans cet état de honte. L’endroit où effectivement, on peut se dire qu’on vaut moins qu’un autre, qu’on a moins de puissance qu’un autre. Son témoignage m’a éclairé. J’ai compris grâce à elle toute une problématique, qui inclut le féminisme, mais qui est beaucoup plus large : celui de l’écrasement par les puissants, de l’usage de la puissance pour étouffer, de la honte posée en sanction paralysante sur ceux qui ne sont pas assez puissants pour ne pas se faire écraser. On te domine, et on empêche toute tentative de rebellion en induisant l’idée que tu es faible, trop faible pour que ta réaction ait un poids. La preuve, tu subis. La preuve, tu es dominée. La preuve, tu ne peux plus rien dire. Le mécanisme de domination par la honte qui te fait taire. Il faut que les puissances s’affrontent, et en ça la prise de parole d’Adèle Haenel est une véritable lumière. C’est bien au-delà du féminisme pour moi. L’essence d’une puissance est de produire des effets. Nous sommes tous des êtres qui sont affectés par les rencontres, par ce qui vient du dehors. Mais il faut plonger dans l’Ethique de Spinoza, et y travailler toute sa vie. Je vous conseille en période de confinement : les cours de Deleuze sur Spinoza qui sont en ligne sur Youtube. La qualité de l’enregistrement est un peu oldschool mais la voix de Deleuze est un bonheur et un tourbillon d’intelligence. Il a aussi écrit un livre que je conseille à tous : Spinoza, Philosophie pratique. « Les dernières lignes évoquent, à propos de Spinoza, un vent-rafale, un vent de sorcière. (..) Vivre en philosophe, polir des lentilles pour microscope, user de la méthode géométrique, c’est finalement une seule et même activité. Elle vise à augmenter la puissance d’agir, donc la joie. » (Roger-Pol Droit, Le Monde)
C’est un outil merveilleux pour penser l’Ethique, et ne pas se perdre dans des questions morales.

4 – C’est quoi cette photo ?

Photo confinée sous un masque d’argile !