Notre invitée du jour est Joanna Grudzinska ✨ qui nous livre un texte très inspiré 🙏

Née à Varsovie, Joanna Grudzinska vit à Paris, elle réalise et écrit des films documentaires et de fiction, fait de la direction de casting, joue parfois, produit des émissions de radio.

1 – Ton confinement : il a lieu où et tu l’envisages/le vis comment?

Il se pourrait que cette étrange période s’installe jusque cet été, le confinement de nos vies, et j’ai d’abord le sentiment d’un Instax, dans le sens instant X, ou photo instantanée, qui fige, comme chaque photo, mais qui correspond aussi très fort à l’éphémère d’un moment.

La confinement est pour moi un moment figé, une vie dans le cadre d’une photographie qui attendrait son développement, dans laquelle le mouvement même serait visible mais immobile.

Et cet instantané a le visage de morceaux de vies féminines. Les femmes historiquement confinées, dont on disait il y a encore peu qu’elles étaient émancipées quand elles voyageaient, travaillaient, changeaient de partenaire, de patron, de collaborateurs, d’amis, quand elles rencontraient, dans l’espace urbain ou entre les villes, d’autres qu’elles, d’autres que ceux et celles qui régissaient leurs vies.

On a eu quelques heures pour faire de nos vies telles qu’elles étaient des vies telles que nous les voulions si on était confinés, et bien sûr, c’était trop court pour faire la révolution ! Je vivais seule avec ma fille en garde partagée, et nous nous sommes rejoints avec mon ami, nous voilà dans le quotidien que nous avions volontairement évité ces derniers mois… Heureusement, nous nous étions choisis, et par chance, nous avons un espace qui nous permet de respirer.

J’ai le sentiment d’une expérience de l’enfance. Un temps dont on ne sait pas quand il se terminera car nous ne gouvernons pas nos vies, on décide pour nous. Alors on peut se raconter que l’on décide, mais de fait, le confinement est une décision que l’on a prise pour nous, nécessaire, mais aussi infantilisante quoi qu’on en dise. On ne décide pas.

J’ai décidé que cette infantilisation était une régression tout aussi nécessaire, et je sais que la régression c’est aussi un rapport important à soi, à sa propre enfance, j’ai toujours revendiqué d’être quelques fois régressive, cela me donne l’énergie vitale dont j’ai besoin.

Le confinement est violent avec les demi-mesures de nos vies.

Je pense à toutes celles qui vivent avec des personnes qu’elles ne supportent pas VRAIMENT au quotidien, à tous les efforts qu’elles doivent fournir, sans parler de celles qui, avec leurs enfants, subissent violences physiques et psychologiques.

Par éclairs, la maladie s’invite dans ce hors-temps. Quand même pas mal de malades autour de moi, des producteurs, des techniciens, des mamies et papis de ma connaissance, celles et ceux-là, nous quittent et cet adieu est très douloureux, terrible et d’une grande tristesse. La nature reprend ses droits, le printemps explose, et nos ainés et nos ainées partent, vite, sans au revoir.

Moi, ce n’est pas l’extérieur en tant que tel qui me manque, mais le lien, la rencontre, le rapport au monde direct, sans filtres, pris dans le mouvement.

2 – Comment tu as connu le Lab et ce que tu y as vécu, ce que tu en penses

Il y a deux ans, j’ai participé à une réunion du Lab et j’ai été heureuse de pouvoir réfléchir à l’empowerment d’abord de nos vies sur elles-mêmes, puis de nos vies avec le monde.

Réflexion d’autant plus actuelle aujourd’hui que nous mouvements ne sont plus libres. Trouver cette liberté dans ce que l’on peut faire : écrire de chez soi, comme Jean Genêt depuis sa prison, le réel d’hier, celui d’aujourd’hui, celui de demain, essayer du moins. Trouver dans les images et les scènes, un miroir juste de ce que nous traversons.

3 – Cite un ou plusieurs films réalisés par des femmes qui t’ont marqué·e et que tu as envie de faire découvrir. Dire pourquoi en quelques mots

Les films de femmes qui me parlent en ce moment sont pris dans les mouvements physiques et politiques émancipatoires de leurs cinéastes :

« Harlan County USA » de Barbara Kopple est majestueux

Et une autre Barbara, Loden, nous a offert Wanda, mère des terrils partie avec un gangster. Un documentaire et une fiction pour raconter le regard de femmes sur le monde, la société, l’altérité, les frontières qu’elles ont dû et voulu franchir pour faire partie du monde et le raconter.

4 – Il est comment ton féminisme ?

Quand je vois aujourd’hui même les sélections dans certaines résidences d’écritures, qui après avoir initié des démarches d’empowerment féminin, soutiennent très majoritairement les candidatures masculines, j’en reste pantoise. Non pas que je ne sois pas curieuse des œuvres à venir mais je ne comprends pas pourquoi seuls les films des jeunes réalisateurs sont soutenus. Non pas que je doute de la qualité des projets mais je ne peux pas croire que les projets des femmes soient moins bons. C’est bien une question de lecture et d’angle de lecture. Soutenir les projets féminins oui mais surtout changer la manière dont on les lit, intégrer une bonne fois pour toute l’Histoire des femmes quand on lit un projet féminin parce que sous cet angle, il dit quelque chose du monde.

Je travaille actuellement à deux films, un documentaire et une fiction, de destins féminins révoltés, créateurs, puissants mais aussi douloureux : ces femmes ont crée dans la douleur un rapport au monde émancipé. Ces histoires donnent un sens aux écritures féminines d’aujourd’hui, donnent une articulation, pour que ces écritures soient lisibles, entendues, comprises, soutenues, et pour de bon.