Elisabeth Perez est productrice et dirige depuis 2009 la société CHAZ Productions où elle défend un cinéma d’auteur exigeant et populaire, tout en soutenant une diversité de genres et de formats.

Le point commun peut-être entre les projets qu’elle accompagne, est qu’ils s’inscrivent sur le fond dans une réalité politique et sociale mais avec des formes et des esthétiques diverses. Si la question de l’engagement ou l’exploration de la marge et de la différence sont souvent au cœur des sujets et des projets qui l’intéressent, ses choix sont éclectiques et avant tout liés à des rencontres avec des auteurs et leurs univers.

Elle a produit une trentaine de courts-métrages et de documentaires, notamment Animal Serenade de Béryl Peillard (Prix du meilleur court-métrage 2014 du Syndicat Français de la Critique) et No land’s song de Ayat Najafi, documentaire multiprimé en festivals.

Depuis 2014, elle a produit des longs-métrages remarqués : Max et Lenny de Fred Nicolas, Jours de France de Jérôme Reybaud (Semaine de la Critique de Venise 2016), et les deux derniers films de Catherine Corsini, La Belle Saison (Prix de la Piazza Grande à Locarno, deux nominations aux César 2016) et Un amour impossible, (Prix Alice Guy et SACD 2019, quatre nominations César 2019).

Son travail de productrice a été récompensé par le Trophée Duo Cinéma du Film Français en 2016 pour La belle saison.

Actuellement, elle développe les prochains films de Catherine Corsini, Sonia Kronlund, Jérôme Reybaud, Siegrid Alnoy, Sébastien Jousse et les premiers longs métrages de Béryl Peillard et Lucas Gloppe.

1/ Ton confinement : il a lieu où et tu l’envisages/le vis comment?

Je suis chez moi, à Paris, confinée depuis le 13 Mars. J’ai été un peu malade, mais comme beaucoup, je n’ai pas été testée donc je ne sais pas si c’était la bête.
J’oscille entre des jours combatifs et au travail et des jours où je me sens disons plus aquoiboniste, avec un fond de colère assez persistant.
Je mesure que nous avons eu de la chance à CHAZ, nous n’avons pas eu de tournage arrêté ou de sortie compromise. Nous poursuivons les écritures et les développements des films qui étaient en cours, entre autres ceux de Catherine Corsini et Sonia Kronlund. Même si l’élan a été rompu car nous étions en préparation sur ces deux films, nous espérons toujours pouvoir tourner à la fin de l’été. On passe des commissions en virtuel, c’est assez lunaire.
Tout ça est tellement incertain mais il nous faut continuer à rêver nos films et tout faire pour que le cinéma puisse renaître dans son entité qu’est la salle. Il faut aussi réfléchir à nos engagements futurs ; quels thèmes, quels récits, quelles visions de cinéastes aurons-nous envie de défendre après la déflagration de cette crise ?
Je fais aussi des réunions avec mon syndicat, le SPI, qui est très actif dans ce moment compliqué pour faire un état des lieux, alerter et tenter d’arracher des soutiens financiers ou législatifs aux pouvoir publics, aux assureurs, aux banques ; des mesures d’urgence pour nous sauver collectivement de cette catastrophe pour le cinéma.
Je passe aussi beaucoup de temps à m’informer sur la crise sanitaire. C’est un moment inédit et anxiogène, mais aussi un temps où il y a une grande solidarité et de la pensée. Je crois qu’on s’en sort toujours avec ça, c’est mon côté optimiste !
Et puis j’étais plutôt rétive aux réseaux sociaux, mais dans ce contexte, je trouve que c’est un moyen formidable de rester liés les uns aux autres. Ils aident à tenir. Je suis toujours soufflée par l’humour et l’inventivité qui s’y déploient.
Cet état d’urgence sanitaire est de fait liberticide, mais nous l’acceptons pour les autres, pour les malades, les soignants, pour ne pas que les hôpitaux, maltraités depuis des années, explosent. Mais c’’est quand même très perturbant qu’on accepte sans broncher de laisser les personnes âgées mourir seules dans les EHPAD…
Ce que je trouve inquiétant, c’est que pour revenir en arrière et retirer ces mesures de privations de liberté, il va falloir du courage et de l’honnêteté politique, parce qu’il y aura toujours des voix pour dire que c’est trop risqué. Après ce qui s’est passé depuis deux ans, la réponse à la crise sociale avec toutes ces violences policières, la gestion de ce début de crise, je n’ai aucune confiance dans ce gouvernement pour faire face à ce qui nous attend. Je ne vois pas comment ce pouvoir peut se « réinventer » et devant une situation si complexe, se mettre à prendre des bonnes décisions.
En matière de politique culturelle encore moins, il n’en a pas eu jusque-là.
C’est aussi désolant de voir la programmation de certaines chaînes du service public pendant ce confinement. C’était un moment idéal pour être un peu plus audacieux et faire découvrir au grand public des films d’auteurs plus méconnus ou plus récents, au lieu de ces nièmes resucées de La grande vadrouille et des Tontons flingueurs, sans remettre en cause la qualité de ces films…
A plein d’endroits, cette crise révèle les dysfonctionnements et les inégalités de notre société, de notre pays. Dans le cinéma, les films d’auteur, l’art et essai étaient déjà fragilisés. Nos combats deviennent aujourd’hui clairement des luttes indispensables à notre survie. Ce qui console et donne de l’énergie, c’est de se dire que les gens auront plus que jamais besoin de s’évader dans des récits, des propositions et des univers forts ; besoin de cinéma. La série, à mon goût, participe de l’enfermement et de l’addiction, alors que le film de cinéma, de par sa durée, est dense, précis, et s’adresse à un spectateur qui n’est pas là pour être aliéné.

2/ Comment tu as connu le Lab et ce que tu y as vécu, ce que tu en penses

J’ai connu le Lab au Festival des Arcs en 2017, au tout début du mouvement Me Too. Vous m’avez demandé de participer à une table ronde pour échanger et réfléchir sur la place des femmes dans notre milieu. Je trouvais cette initiative forte et nécessaire. Enfin un endroit ou la parole pouvait s’exprimer, où on pouvait parler de misogynie dans le cinéma, réfléchir collectivement à des mesures pour plus de parité, proposer des choses concrètes. Quand j’ai commencé à travailler sur des tournages, au milieu des années 90, la misogynie existait de manière plus visible, plus assumée qu’aujourd’hui, mais on n’en parlait pas. Elle reste larvée et nappée dans un peu de condescendance quand il s’agit de naviguer dans des sphères d’argent et de pouvoir. Jusqu’à il y a pas si longtemps, le féminisme était un peu ringardisé. Aujourd’hui les femmes et particulièrement les jeunes femmes ont repris le flambeau d’un combat contre le patriarcat qui était loin d’être terminé. Dans le cinéma, même s’il y a toujours des résistances, le mouvement, amorcé par le Lab et le Collectif 50/50, participe de cette réappropriation et c’est assez réjouissant, que nous prenions notre destin en main pour réaffirmer notre désir et notre droit d’occuper des postes à responsabilités.

3/ Cite un ou plusieurs films réalisés par des femmes qui t’ont marqué·e et que tu as envie de faire découvrir. Dire pourquoi en quelques mots

Sans toit ni loi d’Agnès Varda. Parce c’est un portrait parfait d’une jeune fille rebelle et libre face au malaise d’une société qui ne la comprend pas.
Parce que c’est la trajectoire d’un personnage qui reste opaque et mystérieux, et il n’y a rien de plus beau au cinéma.
Parce qu’Agnès Varda a une maitrise totale de l’expressivité et n’a jamais cessé d’inventer des formes qui donnent à voir le sens d’une expérience humaine.
Parce que je suis arrivée à Paris en 1985, l’année de la sortie du film, avec un sac à dos, sans un sou en poche, mais libre… comme Mona !

Jeanne Dielman de Chantal Akerman. Parce que c’est un grand film sur l’aliénation, un film hypnotique, un pur film de mise en scène.
Parce que c’est un film fleuve, qui peut paraître une épreuve et qui « se mérite », mais qui laisse une trace indélébile.
Parce que Delphine Seyrig.

Récréations de Claire Simon. Parce que cette observation d’une cour de récréation d’école maternelle est un condensé extrêmement cruel et hilarant de tous les comportements, qui relève aussi bien de la tragédie que du polar. Dans le jeu des enfants qui reproduisent le monde des adultes, la compétition et le danger sont partout. Le film montre à merveille comment la cour de récréation est le premier lieu de l’apprentissage de soi et des autres, où l’on fait pour la première fois l’expérience de la solitude en société. Parce que la caméra de Claire Simon est mobile et attentive comme rarement.

Fish tank d’Andréa Arnold. Parce que ce film est dans la lignée du grand cinéma social anglais qui a forgé ma cinéphilie. C’est un film en tension, avec des moments de grâce inquiétante, qui n’hésite pas à explorer différentes pistes narratives. Et parce que c’est encore un grand portrait d’adolescente rebelle.

C’est ça l’amour de Claire Burger. Parce que c’est féministe de montrer un homme sensible et démuni ! Aussi pour cette scène d’anthologie où l’ado a fait prendre de la MDMA à son père, à son insu. J’adore l’humanité, la finesse, la véracité du cinéma de Claire Burger.

La bataille de Solférino de Justine Triet, pour son énergie et son dispositif. On a l’impression que c’est un énorme bordel, mais elle sait exactement où elle veut nous amener et ce qu’elle veut raconter. C’est un grand film qui sait mêler l’intime et le politique.

Tous les films autobiographiques de Valéria Bruni Tedeschi et Noémie Lvovsky sont précieux pour leur imagination, leur fantaisie, leur profondeur. Des cinéastes/actrices sans filtre et poétiques.

Je ne devrais peut-être pas car je la produis et manque peut-être d’objectivité, mais je ne résiste pas à vous conseiller deux films parmi les premiers de Catherine Corsini, que j’aime énormément, Les amoureux pour son intensité et ses beaux acteurs et La nouvelle Eve pour son irrévérence, sa drôlerie et son romantisme absolu !
Une femme cinéaste qui résiste et fait des films depuis plus de 40 ans, ça reste encore un parcours assez rare…

4/ un adjectif pour qualifier ton féminisme

J’hésite entre constant et vigilant.

Copyright de cette photo : mon amoureuse !