RENCONTRE ENTRE DES FEMMES DU CINÉMA ET DES FEMMES DE L’ENTREPRISE

Cinéma

Nadège BEAUSSON-DIAGNE, Comedienne, Chanteuse et Auteure — Fondatrice et Présidente de « #mêmepaspeur »

Sandrine BRAUER, Productrice — Co-fondatrice du « Collectif 5050 »

Julie GAYET, Productrice, Réalisatrice, Comédienne — « La fondation des femmes »

Corinne KOUPER, Productrice — Fondatrice de « Les femmes s’animent »

Shirley KOHN, Directrice de Production — « Malmö Productions »

Laurence LASCARY, Productrice — Co-fondatrice du « Collectif 5050 »

Aïssa MAÏGA, Comédienne, Réalisatrice, Scénariste, Auteure — « Noire n’est pas mon métier »

Tania DE MONTAIGNE, Femmes de lettres, Journaliste.

Marina TOME, Comédienne — Fondatrice et responsable du « Tunnel de la femme de 50 ans »

Coachs

Fabienne SILVESTRE, Coach et Coordinatrice générale du Lab

Emmanuelle CHÂTEAU, Coach

Business

Florence DÉPRET, Fondatrice FD conseil, Experte en communication

Violaine GRESSIER, Responsable partenariats Facebook

Elodie DEMEY, Directrice de casting

Tatiana JAMA, Fondatrice Selectionnist — Co-fondatrice de « Sista »

Céline LAZORTHES, Fondatrice Leetchi — Co-fondatrice de « Sista »

Amanda MILLE, Directrice du marketing chez Richard Mille

Autres participantes

Katell POULIQUEN, Rédactrice en chef ELLE Sarah BRUNET, en poste à la DG connect de la Commission européenne

Anne-Sophie LEROUX, Directrice rédaction My Little Paris

Sarah BRUNET, Chargée de mission pour le programme MEDIA à la DG connect de la Commission européenne

Observateur·rice·s

Guillaume CALOP, Co-fondateur du Lab et DG des Arcs Film Festival

Véronique VATINOS, ELLE, Responsable Célébrités

Lune BOURGOGNE, Assistante Lab — Femmes de cinéma

Emma PAGÈS, Assistante Lab — Femmes de cinéma

À travers les témoignages…

Des ambitions personnelles devenues collectives — L’inclusion avec un grand I. Des combats qui étaient individuels peuvent désormais résonner dans l’espace public. L’inclusion se fait aussi à travers les prises de paroles à tous les niveaux (âge, physique, handicap etc…) ainsi que dans tous les domaines.

Un besoin de briser l’omerta dans le cinéma français et l’importance de la libération de la parole. L’un des premiers buts de ce combat reste celui de briser l’omerta. Pour cela, avoir des études genrées et des chartes est nécessaire. Il existe déjà des études/chartes, qui doivent désormais être saisies et renouvelées. L’élaboration d’une charte pour les tournages avec un soutien juridique et psychologique est en développement ainsi qu’une étude de la parité dans le métier de critique au niveau européen.

Un mouvement positif et optimiste. Il est important de faire passer un message positif. Ainsi, alors que les quotas peuvent être contre productifs, d’autres moyens sont mis en place afin de communiquer positivement sur la nécessité d’une meilleure représentation de l’égalité et de la diversité devant et derrière la caméra.

Des chiffres dans le monde du business encore plus affolants que dans celui du cinéma. Aujourd’hui, le collectif « SISTA » révèle que seules 2,6% des entreprises financées par des fonds sont dirigées par des femmes.

L’importance d’avoir des rôles modèles. En effet, moteurs et nécessaires dans la construction des ambitions de chacun·e et dans sa façon de se représenter le monde.

Envie exprimée de construire des contenus documentaires qui seraient davantage dirigés vers le public des 15-24 ans, car c’est un moment charnière dans la construction de l’identité — et donc un moment où avoir des rôles modèles est encore plus essentiel.

Une représentativité de la société dans les médias qui est loin de la réalité. Il semble important désormais que les médias s’emparent du pouvoir qu’ils ont afin de progresser sur la visibilité de toute la société. En effet, les médias ont une responsabilité quant à la représentation qu’ils donnent de notre société et donc à la visibilité de l’ensemble de celle-ci.

Une prise de conscience qui passe par les chiffres. Sans chiffre, la prise de conscience ne peut pas se faire. Il est donc nécessaire qu’il y ait des chiffres et que ceux-ci soient accessibles par tous.

Mais une prise de conscience qui se fait tout de même aussi à travers les échanges, la formulation ou la confrontation et qui donne envie de produire des changements.

Une communication déjà en place sur ces questions, mais qui nécessite d’être poussée plus loin encore… En effet, la communication semble nécessaire pour que les gens comprennent ce qu’il est possible de faire pour lutter contre les stéréotypes et plus encore, contre le harcèlement.

Il existe par exemple des campagnes de lutte contre le harcèlement — affiche coup de poing/ fascicule d’information légale à distribuer – qui pourraient encore être plus nombreuses.

Le manque de mots – source de l’invisibilisation. Pour mener la lutte et l’intensifier, le besoin d’avoir les bons mots pour le faire semble indispensable : le manque de mots, c’est la source de l’invisibilisation. C’est dans cette perspective qu’un travail lexical est en train d’être mené à destination du grand public.

Dans le milieu des entreprises. On note tout de même une évolution dans la représentation des femmes dirigeantes.

L’argent, c’est le nerf de la guerre. C’est ce qu’a bien compris « La fondation des femmes », qui a opéré une importante recherche de fonds et oeuvre pour les femmes victimes de violences et discriminations.

Un changement des états d’esprits est nécessaire pour aller vers une évolution positive.

La question (forte) de la liberté. Il faut se poser la question de qu’est-ce-qu’une femme libre? À cet égard, c’est aux femmes semble-t-il d’élargir le champ et d’envisager le genre.

Quels sont les points communs et les différences concernant la place des femmes dans le cinéma et dans l’entreprise ?

POINTS COMMUNS DANS LE CINÉMA ET L’ENTREPRISE

• La difficulté à émerger : le syndrome Queen Bee – sentiment que lorsqu’on est une femme, il n’y a la place que pour une seule femme. Une femme doit lutter pour émerger et sa tentation peut alors être d’évacuer les autres femmes : c’est un défi de lutter contre ce syndrome. Sentiment aussi qu’il y a un décalage dans le temps et que les femmes de 50 ans auraient plus ce syndrome alors que les générations qui arrivent semblent avoir plus de sororité — Sororité qui semble d’ailleurs plus évidente là où il n’y a pas trop d’enjeux de pouvoir…

•  La question de l’invisibilisation : un élément quasi naturel aujourd’hui et donc lutter contre, semble revenir à lutter contre l’ordre naturel des choses.

• Le jeu du patriarcat : dans les deux milieux socio-professionnels la femme n’existe d’abord que par son physique et par le fait d’être désirée. Ainsi, encore aujourd’hui, la femme se voit attribuer ce statut de femme-objet et ce encore plus dans le cinéma.

•  La discrimination liée à l’âge : il existe une vraie culture du jeunisme. L’apparence physique reste la question première, au cinéma comme dans l’entreprise.

•  Les femmes sont souvent présumées moins ambitieuses : on leur propose moins de choses et leurs projets/leurs ambitions sont sous-estimé·e·s.

•  Le plafond de verre.

•  L’autocensure : les femmes sont découragées et se disent que ce n’est pas la peine d’essayer. Mais c’est un concept potentiellement dangereux car il fait aussi écho à la manière dont certains se dédouanent — « Ce sont les femmes qui s’autocensurent ».

•  L’intériorisation des stéréotypes : réel déficit de confiance chez les femmes, dû à une intériorisation des inégalités.

•  L’argent – le nerf de la guerre : lorsqu’il y a des petits budgets les femmes sont plutôt bien représentées : (environ 40% dans le business comme dans le cinéma), mais dès qu’il y a des gros budgets/investissements : la proportion de femmes diminue drastiquement.

•  La discrimination liée à la maternité.

•  La nécessité d’avoir des rôles modèles.

•  Les écarts salariaux.

•  Une vraie révolution en cours concernant les données chiffrées, dans les deux mondes.

•  La réhabilitation du féminisme : tant chez les femmes que chez les hommes et dans le monde de l’entreprise comme du cinéma.

 

DIFFÉRENCES DANS LE CINÉMA ET L’ENTREPRISE

Être son propre moteur économique : ce qui est le cas des entrepreneuses et les protègent davantage que les comédiennes qui elles dépendent du désir de l’autre.

Le degré de violence : le sexisme existe partout, mais les femmes dans le cinéma semblent être soumises à un degré de violence à priori plus important.

Une temporalité qui n’est pas tout à fait la même : il existe une différence marquée entre les microentreprise — cinéma et les plus grosses entreprises — qui ont une longueur d’avance concernant la place des femmes et les moyens mis en places pour lutter contre les inégalités.

Malgré cela, on note qu’il y a seulement 11% de femmes cheffes d’entreprises en France (toutes entreprises confondues), alors qu’au cinéma, les chiffres concernant la place des réalisatrices tournent quand même en moyenne autour de 20%.

 

Quelles seraient les opportunités et les risques à faire coopérer ces deux mondes sur la question de l’égalité femmes/ hommes?

• Le cinéma comme vitrine de la société : a un rôle à jouer et cette possibilité de montrer les choses et de casser les stéréotypes — pour cela il doit travailler sur ces stéréotypes et en prendre pleinement conscience.

• Créer un réseau de femmes plus puissant : apprendre des femmes de l’entreprise la notion de réseau — les entreprises ont une avance considérable sur cette notion et peuvent ainsi servir de modèle pour le cinéma sur ce point.

• La responsabilité de l’image : prendre conscience au cinéma de la responsabilité de l’image et de la représentation et en entreprise, de la responsabilité de la publicité et des marques — être attentif sur la manière dont les femmes sont représentées et plutôt que des beautés et des physiques, mettre en avant des parcours de vie et des parcours professionnels modèles.

• Opportunité d’un enrichissement mutuel : dans l’entreprise, la notion de « data gender gap » est bien utilisée — le monde du cinéma peut évoluer dans sa manière de communiquer en allant vers une communication plus pragmatique/business. Cela peut être un moyen de montrer qu’il y a un rapport entre la diversité, la mixité et la performance des films, et qu’ainsi, tout le monde a à gagner d’une meilleure représentativité à l’écran de la diversité de la société.

• Opportunité d’être le plus fort dans le débat public : mutualiser les forces des ces deux mondes — notamment à travers les actrices/acteurs qui sont des ambassadeurs de choix pour porter ces idées là auprès du grand public.

•  Peser davantage dans le débat public par la mutualisation de nos forces — notamment à travers les act·eurs·rices qui sont des ambassad·eurs·rices de choix pour porter ces idées auprès du grand public.

• La normalisation de la prise de pouvoir par les femmes : dégenrer et normaliser les femmes aux pouvoirs dans l’audiovisuel — une femme noire de pouvoir est souvent le sujet de film : essayer de présenter les femmes aux pouvoirs sans en faire un pré-requis. Créer un imaginaire plus favorable à l’émergence des femmes dans des rôles de « leadeuses ».

• Une grille de lecture de scénario : créer une grille de lecture de scénario ou un prix du scénario le moins stéréotypé. En effet, l’écriture du scénario est un moment clé dans la « dé-stéréotypisation »  qui mérite que les bonnes questions soient posées — une femme aussi peut écrire un scénario stéréotypé.

• Une « grille sociétale » : à destination des médias et des critiques de cinéma pour la lecture des films.

• L’éducation : éduquer dès le plus jeune âge.

• La précarité : dépendre d’un pouvoir en entreprise, peut être un poids plus lourd que dans le cadre d’un film — plus limité dans le temps — grosse différence entre micro-entreprise (cinéma) et une grosse entreprise de business.

• La liberté de création : faire attention au côté moralisateur du mouvement et viser un discours plus pragmatique — montrer que plus de mixité et de diversité permet d’être plus performant.

• Être vigilant concernant le syndrome Queen Bee : car on est dans un besoin de sur-représentativité des femmes, mais il ne faut pas oublier de représenter l’imperfection, sinon il y a un risque de ce syndrome. Il faut donc apprendre dès le plus jeune âge qu’on ne peut pas être parfaites!

• Montrer que tout peut changer : les jeunes générations ont fait de ces problèmes leur premier enjeu et ont envie de montrer leur engagement. Par ailleurs, les jeunes femmes semblent plus ambitieuses — c’est aussi pour cela qu’il est important de représenter l’imperfection, notamment afin d’éviter le syndrome «Queen Bee ».

Quelle forme concrète (initiatives/projets) pourrait prendre cette réunion des deux mondes ?

• Création d’un indice d’inclusion : dans les entreprises en général — en intégrant le cinéma — permettant différents degrés d’analyse et un moyen de savoir dans quels projets celles-ci veulent investir.

• Communiquer par des études chiffrées positives et partagées : montrer qu’il y a effectivement une relation entre la parité, la diversité et la performance d’une entreprise lambda comme d’un film. Ces études auront pour cible l’éducation (dans les école, les lycées…) et aussi les gens de pouvoir qui ont besoin d’une sensibilisation particulière à ces sujets.

Créer des campagnes de communication à destination du grand public : avec un visuel très fort qui permette de capter l’attention et de mettre en avant les disparités — créer un effet de masse avec une seule information — 1 seul chiffre. Typiquement avec des figures emblématiques du cinéma, qui permet- tront de communiquer plus massivement (Cf. Campagne Sista)

• La puissance des réseaux et la force du mentorat : les réseaux de femmes dans le business qui pratiquent déjà le mentorat pourraient donner des conseils aux femmes de cinéma qui entendent le développer.

• Créer des réseaux partagés de femmes et d’hommes : impliqués sur les questions d’égalité et de diversité, en intégrant tous les secteurs d’activité.

• Objectiver les faits : rappeler que les entreprises dirigées par des femmes sont statistiquement plus pérennes que celles dirigées par des hommes.

• Grand forum sur l’égalité/la diversité : réfléchir à la création d’un grand forum sur l’égalité/la diversité, porté par des collectifs actifs sur ces questions, représentants de différents secteurs.

• Créer une cellule de réflexion commune : au monde du business et du cinéma pour que les entreprises puissent se positionner auprès des diffuseurs (donc entreprises comme annonceurs) — et il faudrait que les entreprises puissent aussi exercer un droit de retrait si les diffuseurs ne respectent pas la parité demandée — donc les entreprises peuvent devenir une sorte de levier dans l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel.

• Se servir de la visibilité offerte par les médias et se focaliser sur la cible grand public qui peut influer sur la société de manière très globale.

• Relayer les bonnes initiatives proposées : afin d’encourager ces différents mouvements. Les réseaux du business pourraient relayer davantage les initiatives en cours dans le cinéma en matière d’égalité et de diversité et réciproquement.

 

Citations pépites

 

« Compter les femmes pour que les femmes comptent. »

« Être une femme noire en France dans le cinéma, c’est être à l’intersection des clichés racistes et sexistes. »

« Il faut partir d’énergies positives et de modèles positifs afin de transformer les mentalités »

« Il y a une phrase de Françoise Giroud qui a été signifiante pour moi : « pour les femmes on dit qu’elles sont seules, pour les hommes on dit qu’ils sont libres » »

« En tant qu’actrices de plus de 50 ans, on pensait qu’on reviendrait en tant que grand-mères, mais en fait en regardant les chiffres, on ne revient même pas en tant que grand-mères… »

« Sur tous les films français sortis en 2015,  il n’y avait que 8% d’actrices de plus de 50 ans et l’année d’après seulement 6%…

« On ne peut rien faire et on ne fera rien si on n’a pas d’objectif chiffré.»

« On me prenait plutôt pour une hôtesse d’accueil que pour une femme qui est dans le business. »

« On a levé plein d’argent mais un peu moins que nos petits copains. »

« Tout le monde a intérêt à se libérer- à oser être soi et à se mettre au bon niveau de responsabilité. »

« Plus on fera masse, plus on sera indestructibles »

« Nous (les femmes) sommes notre grande chance et avons tout à imaginer. Il reste tout à faire. »

« Être libérée n’est pas la même chose qu’être libre. »

 

Le mot de la fin

Concret, espoir, courage, riche, inspiration, solution, énergie, partage, collaboration, coopération, idée, action collective, évolution pragmatique, « et si… », ambition, chiffres, progéniture (« car les décideurs ne semblent pas sensibles à la question des chiffres ou des pertes, mais quand on leur parle de leur progéniture ils arrivent beaucoup mieux à se projeter »)…

*Pour mémoire : règles de confidentialité et de publication du Lab :

Nous utilisons la règle dite de Chatham House, du nom d’un célèbre think tank britannique.

Cette règle est utilisée pour réglementer la confidentialité des informations échangées lors d’une réunion : quand une réunion se déroule sous cette règle, les participants sont libres d’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’affiliation des personnes à l’origine de ces informations. Cela permet une plus grande liberté de parole et des prises de positions plus fortes.

La liste des participants aux ateliers est en revanche publique, dans le but d’indiquer la diversité et la qualité des personnes présentes et donner de la valeur aux idées émises.