Participant·e·s
Des professionnel.le.s de l’industrie musicale, dans le cadre du Music Village.
Valerie Albert, Syncsync
Béatrice Boursier, SCARE
Raphaëlle Dannus, Pigalle Production
Clara Delbergue, Because Music
Irène Drésel, Musicienne
Marabelle Emeline, Bellemeute
Guardi Giovanni, Fandango
Louis Hallonet, CNM
Coralie Jacquier, 22D
Paulmier Samantha, MOBYzIK
Sfeir Stephanie, Alter K
Loren Synnaeve, Cheffe de projet audiovisuel indépendante
Etienne Tricard, My Melody
Lucile Vignaud, InFiné
Coach et facilitatreur.ice.s
Fabienne Silvestre, Coach et co-fondatrice du Lab
Guillaume Calop, Co-fondateur du Lab
Observatrices
Géraldine Macé, Assistante du Lab
Lise Perottet, Assistante du Lab
La place des compositrices dans la musique de film
Plusieurs déclarent qu’ils et elles aimeraient même tendre vers une « dé-parité », avec plus de femmes que d’hommes. Dans le domaine de la musique de film, cela est encore compliqué, mais dans la musique électronique, des initiatives existent déjà, à l’instar du collectif de musique « Comme nous brûlons », dont plus de 95% des organisateur.ice.s sont des femmes, qu’il s’agisse des artistes, ou des équipes techniques.
Le constat de ce premier échange est que toutes et tous sont au fait de cette problématique dans le domaine de la musique de film, mais même pour celles et ceux qui cherchent concrètement à faire bouger les choses, les femmes restent plus que minoritaires. La solution pourrait donc en partie venir d’un autre niveau, d’un niveau plus institutionnel par exemple.
Un diagnostic qui ne concerne pas uniquement la partie création. La bible du collectif 5050 recense les femmes travaillant dans l’industrie du cinéma. Pour la musique de film, elle sont peu nombreuses dans la partie artistique, mais elles le sont encore moins dans les domaines techniques (monteuses, techniciennes, mixeuses son…). Les femmes sont peu présentes tout au long de la chaîne de création de musique originale.
Des chiffres qui parlent d’eux-mêmes… lorsqu’ils existent. La SACEM (Société des Auteurs Compositeurs et Editeurs de Musique) ne dispose pas de chiffres précis, le CNC non plus. Le CNC estime à moins de 10% les aides demandées par des compositrices. Les femmes représentent seulement 17% du total des membres de la SACEM et environ 6% des bandes originales seraient composées par des femmes. Il y a donc un manque cruel de statistiques, qui empêche de mesurer précisément le problème. C’est la première étape d’une nécessaire prise de conscience collective.
Lors d’une conférence organisée aux Arcs Film Festival en 2021, des chiffres ont néanmoins été présentés, partant des films reçus par la commission de soutien à la création de musique originale : en 2020, sur 40 films reçus, 38 avaient une musique composée par des hommes et 2 seulement par des femmes. En 2021, sur 36 films, seuls 3 avaient une bande originale composée par une femme.
On relève néanmoins que c’est une compositrice qui signe la musique du dernier OSS 117, et que c’est la première fois qu’une femme bénéficie d’un budget si important dans la musique de film en France.
Une comparaison avec l’industrie du cinéma. Tout au long de l’atelier, une comparaison a été faite par les participant.e.s avec la place des femmes réalisatrices. La place des femmes dans le cinéma est un sujet qui préoccupe, mais comme le résume bien l’une des participantes « dans la musique de film, c’est encore pire ». Le travail fait ici est un travail qui a été amorcé dans l’industrie du cinéma dans son ensemble il y a 7 ou 8 ans : les chiffres sur la place des femmes compositrices sont flous quand ils ne sont pas inexistants et les femmes se trouvent davantage là où les budgets sont plus faibles…
Les causes à l’origine de telles disparités. Selon les participant.e.s, les causes qui font que si peu de femmes sont présentes dans ce secteur sont exactement les mêmes que dans les autres industries : lorsqu’il s’agit de commandes, les décisionnaires se tournent plus spontanément vers des hommes, le réseau est primordial dans ce secteur, or les réseaux sont souvent ici constitués d’hommes. La question de la compétence revient régulièrement, avec une assimilation de l’idée que les hommes étant historiquement plus nombreux dans le secteur, ils seraient plus compétents. Pour celles qui réussissent dans la musique de film, c’est d’autant plus difficile que sans réel « rôle model », nombreuses peuvent vivre un syndrome de l’imposteur (de l’imposteuse même). Tout cela entraine et de fait, une difficulté pour trouver des femmes compositrices pour celles et ceux qui en cherchent activement.
Quelles idées pour faire bouger les lignes?
- Créer un annuaire des compositrices. Mettre en place à grande échelle un outil pratique pour aider celles et ceux à la recherche de compositrices. On pourrait s’inspirer de l’annuaire des « Expertes », qui regroupe des expertes dans de nombreux secteurs, crée par le groupe Egae qui partait du constat que seul 41% des expert.e.s invité.e.s dans les médias français sont des femmes. Ou encore de la Bible du Collectif 5050.
- Aller chercher des musiciennes dans d’autres type de musique. Aller chercher des artistes qui ne font pas forcement de la musique de film. Des femmes sont présentes dans l’industrie musicale, si pour un projet il est compliqué de trouver une femme compositrice de musique de film, il est possible de trouver une musicienne, et de lui proposer de travailler sur un film. Il s’agirait de prioriser le talent et le genre de l’artiste, au fait qu’elle appartienne déjà au secteur.
- Des « role model » pour servir d’exemple. De nombreux et nombreuses participant.e.s de l’atelier partagent l’idée selon laquelle, avoir des exemples concrets de réussite est l’une des solutions à mettre en place rapidement. C’est en voyant des astronautes que l’on a envie de devenir astronaute. C’est en voyant des femmes réussir dans différents secteurs que des petites filles voudront y entrer aussi, car elles auront des modèles et se sentiront d’autant plus à leur place.
- Un prix annuel pour les femmes compositrices. Dans les grands festivals de cinéma, mettre en place des prix spéciaux pour les femmes compositrices de musique de film, à l’instar de ce qui se fait aux Arcs Film Festival pour les réalisatrices avec le prix Sisley Femme de Cinéma. Cela permettrait de créer par la même occasion des exemples de réussite, et des rôles model pour des femmes aspirant à travailler dans le secteur, tout en valorisant réellement le travail de ces femmes.
- Mettre en place un mentorat pour les étudiant.e.s. Une fois leurs études terminées, les jeunes peinent souvent à se faire connaitre et à entrer dans le monde du travail. Il faudrait que les conservatoires accompagnement les jeunes diplômé.e.s à la sortie de leurs études pour leur donner des conseils pratiques afin de mieux communiquer sur leur travail en mettant leurs titres sur les plateformes de streaming, en créant une page Wikipédia… Ce partage de conseils et de bonnes pratiques pourrait notamment passer par un système de parrainage et de marrainage, par des compositeurs et compositrices qui ont déjà fait leur place dans le monde de la musique de film et qui prendraient sous leur aile un.e jeune voulant travailler dans le milieu.
- Obtenir des statistiques. Le constat est le même que pour tous les secteurs où un groupe de personnes subit des discriminations : tant que les chiffres n’existent pas, il est compliqué de faire avancer la situation. « Il faut compter les femmes pour que les femmes comptent ». Nous l’avons constaté au début de l’atelier, il n’existe pas de chiffres précis sur la place des femmes dans la musique de film : il faut donc des statistiques précises et officielles. En plus de ces statistiques, il faut surveiller la parité dans tous les événements où il est question de musique de film : dans les festivals, dans les jurys, dans les tables rondes…
- Creer un collectif et une charte. Créer un collectif d’action, à l’instar du collectif 5050, sur la question de la place des femmes dans la musique de film. Rédiger une charte et la faire signer par l’ensemble des professionnel.le.s du secteur, pour que toutes les parties prenantes s’engagent à ne pas discriminer, à avoir une démarche vers la parité dans les projets sélectionnés en compétition, à avoir un jury paritaire… Les chartes font office d’intention d’actions, et non d’actions, mais cela fait partie intégrante du processus de sensibilisation.
- Des actions médiatiques pour sensibiliser à grande échelle. Lors de la création du collectif 5050, une action médiatique historique avait été mise en place pour mettre en lumière le problème de la faible place des femmes dans le cinéma. 82 femmes de cinéma avaient monté ensemble les marches du festival de Cannes en 2018 pour représenter les 82 femmes réalisatrices invitées à concourir en compétition au festival de Cannes depuis sa création en 1946, face aux 1688 hommes invités pour monter ces mêmes marches, sur cette même période. Des actions de ce type, à portée symbolique et médiatique, pourraient être imaginées lors de grandes rencontres du secteur pour mettre en avant cette problématique.
- Un travail au niveau institutionnel. La SACEM et le CNM (Centre National de Musique), pourraient mettre davantage en avant les femmes dans le milieu. Mettre en place des aides, faire un travail de statistiques, élabo- rer un annuaire. Les actions collectives ont besoin d’être soutenues, voire initiées par des actions institutionnelles fortes.
- Réfléchir à la mise en place d’un bonus. Il existe un bonus pour les films dont les postes clés sont occupés par des femmes. Lorsque le CNC a mis en place ce bonus il y a quelques années, seuls 15 films pouvaient y accéder, aujourd’hui, c’est plus de 25 films par ans qui bénéficient de ce bonus chaque année. Un bonus supplémentaire pourrait être mis en place pour les films dont la bande originale a été composé par une femme, les politiques d’encouragement fonctionnent généralement plutôt bien dans le secteur du cinéma.
- Travailler sur la mise en place des quotas. Il pourrait s’agit d’imposer au niveau institutionnel qu’un pourcentage du budget total alloué à la musique de film soit réservé à des projets portés par des compositrices.
Citations pépites
« Je fais de la supervision musicale, cela fait deux ans que je travaille dans ce secteur, je n’ai jamais travaillé avec une compositrice. »
« Cela fait dix ans que je suis féministe […] et sept ans que je travaille dans la production de musique originale, à ce jour, je n’ai produit qu’un seul projet porté par une femme. »
« Quand les femmes se mettent à pitcher, elles pitchent des femmes. »
« Les institutions doivent encourager et accompagner ces changements. »
« En 25 ans, j’ai vu les choses changer dans d’autres domaines. Il y a par exemple aujourd’hui beaucoup plus de directrices de la photographie… Mais pas dans le monde de la mu- sique, les choses sont pareilles que quand j’avais 25 ans. »
« J’imagine que les choses vont évoluer, notamment grâce à ce type d’initiative ! »
« Entre femmes dans ce secteur, il y a 25 ans, il y avait déjà ce sentiment qu’il fallait se serrer les coudes. »
« Pour le bonus pour les femmes compositrices, ils y pensent, ils y pensent, mais rien ne se passe… »
« C’est comme dans le cinéma ! Plus les budgets sont élevés, moins il y a de femmes. »
« Je m’engage à continuer à faire de la musique, et un jour, à être la marraine d’une jeune qui débute dans le milieu. »
*Pour mémoire : règles de confidentialité et de publication du Lab :
Nous utilisons la règle dite de Chatham House, du nom d’un célèbre think tank britannique.
Cette règle est utilisée pour réglementer la confidentialité des informations échangées lors d’une réunion : quand une réunion se déroule sous cette règle, les participants sont libres d’utiliser les informations collectées à cette occasion, mais ils ne doivent révéler ni l’identité, ni l’affiliation des personnes à l’origine de ces informations. Cela permet une plus grande liberté de parole et des prises de positions plus fortes.
La liste des participants aux ateliers est en revanche publique, dans le but d’indiquer la diversité et la qualité des personnes présentes et donner de la valeur aux idées émises.